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HERGÉ (1907-1983)
Tintin et Milou - Le Sceptre dOttokar
Encre de Chine sur papier pour la planche 86 de lalbum.
31,6x22,1 cm.
Casterman, 1939.

Lorsqu’il commence à travailler en juillet 1938 sur ce récit qui s’appelle tout d’abord Les Aventures de Tintin en Syldavie , Hergé ne se rend certainement pas compte que cette huitième aventure du jeune reporter va représenter le sommet tant narratif que graphique de la première partie de sa carrière. Ce qui s’appellera bientôt Le Sceptre d’Ottokar marque le retour d’une narration politiquement engagée, après la réussite du Lotus bleu. À la différence que Tintin ne sera ici jamais aux prises avec des bandits ou des trafiquants comme il en a l’habitude, mais bien uniquement confrontés à de redoutables conspirateurs menés par le mystérieux Müsstler, évidente synthèse de Mussolini et d’Hitler. Hergé est effectivement très inspiré par la période troublée que traverse l’Europe, et avant tout par l’Anschluss de l’Autriche en mars 1938, la première invasion d’un pays depuis la Première Guerre mondiale, et ce au mépris de tous les traités signés. Le 4 août 1938, Hergé débute donc la publication de cette nouvelle aventure dans le Petit Vingtième, sans imaginer que l’annexion des Sudètes, puis l’invasion de la Tchécoslovaquie et l’annexion de l’Albanie avant l’attaque de la Pologne vont donner à sa publication un écho prophétique et dramatiquement plus réaliste.
Pour son album le plus engagé, Hergé ne peut pourtant pas risquer d’évoquer frontalement cette actualité brûlante. Il choisit alors d’employer deux pays imaginaires situés dans les Balkans. Ainsi, le roi de Syldavie prônant la neutralité de son pays prend les atours du jeune roi des Belges Léopold III pour Hergé qui est profondément royaliste. Beaucoup moins humoristique que les précédentes aventures, le récit est truffé d’anecdotes authentiques, devenant un vrai témoignage de son époque. Hergé dévoile ainsi en fin d’album que le plan de ses conspirateurs misait sur des prétendues agressions contre des Bordures résidant en Syldavie, exactement comme ce fut le cas en mars 1939, lorsque l’Allemagne revendiquait la protection de ses ressortissants pour envahir la Tchécoslovaquie. Alors qu’il travaille toujours pour un journal conservateur politiquement étiqueté de droite, Hergé exprime par son récit ses opinions clairement antifascistes, malgré les montées de l’extrême-droite en Belgique comme partout en Europe. Un choix clairement assumé par l’auteur, comme en témoigne la lettre qu’il adresse à son ami et éditeur Charles Lesne : « L’histoire […] est tout à fait basée sur l’actualité. La Syldavie, c’est l’Albanie. Il se prépare une annexion en règle. Si l’on veut profiter du bénéfice de cette actualité, c’est le moment où jamais. » Cette lettre a été écrite le 12 juin 1939 exactement au moment où Hergé vient de terminer cette magnifique planche, véritable pivot de ce remarquable album. Après des rebondissements et une poursuite de près de vingt pages, Tintin touche presque au but : mettre la main sur le sceptre pour empêcher l’abdication du jeune roi de Syldavie. Véritable climax de l’album, cette planche est une magistrale leçon de mise en page et de lisibilité. Au milieu d’un décor montagneux et austère, Hergé guide le regard du lecteur pour qu’il ne perde pas une miette de cette intense course-poursuite. La surprise, la tension puis la libération se lisent pratiquement sur le regard du conspirateur, tandis que l’on comprend que Tintin ne pourra pas le rattraper avant la frontière. La construction peu commune de la planche démontre toute la maîtrise d’Hergé en bande dessinée ; il s’affranchit des cases pour montrer en un seul plan les positions instantanées de Tintin et du conspirateur : le regard du lecteur part de Tintin qui se détache de la muraille, pour suivre le sentier, retrouve le Bordure afin d’arriver jusqu’au poteau de la frontière. À son comble, la tension de tout l’album se résume dans cette dernière case, à l’image de l’actualité de 1939 : aurons-nous la paix ou la guerre ? Comme on le sait, notre jeune reporter va trouver l’idée géniale pour sauver la situation in extremis… tandis que pour l’Europe, quelques jours après la fin de la publication de cette aventure dans le Petit Vingtième, la guerre sera déclarée le 1er septembre 1939 et Hergé sera mobilisé. Que ce soit pour le reflet et la dénonciation tragique de la grande Histoire, la leçon de bande dessinée donnée par Hergé, ou l’importance du moment qu’elle représente pour l’auteur, cette oeuvre muséale est certainement l’une des plus importantes planches qu’il a réalisé seul dans sa carrière.
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