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FINI, Léonor (1908-1996)
Ensemble de 251 lettres autographes signées à Castor Seibel, dont 19 ornées de croquis [1971-1988].
Plus de 850 pages in-4 ou cartes postales, en français, à l’encre ou au feutre sur papier. Nombreux passages soulignés, croquis sur 19 lettres. Enveloppes, coupures de presse et feuillets tapuscrits joints.

Exceptionnel ensemble de 251 lettres inédites de Léonor Fini, adressées au marchand et critique d’art Castor Seibel, où l’artiste se livre avec une franchise absolue sur tous les aspects de sa vie quotidienne et de son travail, dévoilant les pensées brutes d’une femme au tempérament volcanique et éclairant d’un jour nouveau l’œuvre de l’une des plus grandes artistes surréalistes du XXe siècle.

Cette correspondance inédite constitue un ensemble incomparable, par son volume et l’extrême diversité des sujets abordés, plongeant directement le lecteur au cœur des pensées de Léonor Fini. On découvre au fil des lettres une femme brillante et passionnée, dotée d’un esprit critique des plus aiguisés : “Je vous assure que je ne suis pas “difficile”, “emmerdeuse”, dass heisst, mais je sais ce que je veux.” (04/07/1973) Ses lettres sont longues et exaltées, écrites en français parfois mâtiné d’allemand, dans un style très oralisé : Léonor Fini jette ses pensées sur le papier d’une écriture large et spontanée, abusant de tirets pour allonger ses phrases ou insérer des digressions, insérant parfois un croquis et soulignant de nombreux passages pour appuyer ses propos.

Née à Buenos Aires en 1907, Léonor Fini passe son enfance en Italie en compagnie de sa mère, échappant à plusieurs tentatives d’enlèvement de son père contre qui elle gardera une rancœur tout au long de sa vie. Dans l’une des premières lettres qu’elle adresse à Castor (alors désigné sous le nom de Richard Ramin), elle le prie de ne pas l’appeler par le nom hérité de son père : “il n’y a que le prénom qui compte – ce que j’ai fait de moi” (lettre non datée, circa 1971). La jeune femme s’établit à Paris en 1931, où commence sa carrière. En 1939, elle participe à la célèbre exposition « Fantastic Art, Dada and Surrealism » au MoMA ; après-guerre, elle imagine de nombreux costumes et décors pour le théâtre et réalise l’illustration de plusieurs livres en parallèle de son activité en tant que peintre. Lorsqu’elle rencontre l’écrivain et marchand d’art Castor Seibel (c. 1933-2022) au début des années 1970, elle bénéficie déjà d’une large reconnaissance auprès du public. Il devient rapidement son confident et réalisera des traductions pour elle, alors même qu’elle confesse accorder difficilement sa confiance : “Je suis très touchée par votre amitié – je vois votre pureté et vous avez conquis vraiment mon amitié que je donne très [souligné 4 fois] rarement” (17/02/1972).

L'univers finien : “un autre monde régi par des lois cohérentes mais singulières” (07/08/1974)

Surréaliste malgré elle, Léonor Fini s’est toujours défendue de toute appartenance au groupe, ou à n’importe quel autre mouvement artistique. Malgré des liens d’amitiés et des expositions communes, elle n’admet pas qu’on tente de minimiser la singularité de son œuvre : “Toujours à me forcer à me lier aux surréalistes. On montre leur photo et on dit enfin que je ne les aimait (sic) pas ! Sauf 2 ou 3 ! On ne supporte pas qu’on veuille ou qu’on soit seul” (05/04/1978). Castor Seibel a écrit plusieurs textes sur Léonor Fini, dont un article définissant sa peinture – exercice périlleux qu’il réussit avec brio, selon les propres dires de l’artiste : “Le texte est très perspicace très intelligent (…) vous avez saisi, compris, exprimé, ce que je suis ou crois être” (02/09/1974). Elle lui renverra une version améliorée de l’article, ajoutant quelques phrases dont l’une synthétise sa pratique : “l’univers finien est un autre monde régi par des loi cohérentes mais singulières”, c’est-à-dire que “son univers clos est plutôt le rêve de ce qui aurait été possible si notre monde obéissait à d’autres lois”. L’article ainsi remanié décortique tous les thèmes récurrents de ses toiles, comme le sphinx oscillant entre les deux sexes, symbole de “l’ambiguité de l’art”, la fête, le mythe, ou encore "le thème qui la hante, (…) l’initiation”. L’artiste explore son rapport au rêve dans la création : “Je ne dis pas que ma peinture ce sont des rêves - il y a dans le mécanisme du rêve, mais la peinture est objectivation donc l’opposé du rêve” et touche à l’origine même de sa peinture : “la raison d’être de son art c’est le scandale de la mort” (07/08/1974). Elle s’offusque lorsqu’une journaliste allemande tente de comparer son style : “elle dit que je prends l’érotisme de Schiele et les corps de Cranach, Schiele peint de[s] putains sinistres et maudites moi des femmes au-delà de tout contexte sociale (sic) (des formes ou des idées presque)” (30/01/1976)

S'adressant à un critique d’art, Léonor Fini n’hésite pas à s'attarder sur son processus créatif. Elle détaille ses toiles en cours, les décrivant et partageant son ressenti face au travail réalisé : “Mon tableau avance et il est très mystérieux - (pour moi aussi) et il “fascine” - que font-elles dans cette “fête dans le vide” ?” (17/11/1973). On reconnaît ainsi plusieurs tableaux, telles que Les leçons, tableau qu’elle désire “féroce et même haineux” : “je commencerai ces jours ci la toile où un homme vieux et horrible avec des mains pustuleuses (une est dans l’eau et ressemble à une patte de homard) se fait faire la “manucure” par une femme belle et précieuse comme celle qui donnait la leçon de paléontologie” (24/10/72). Pour La Chambre d’écho, elle insère un croquis préparatoire dans l’une de ses lettres, tout en expliquant la composition à Castor. L’artiste insiste sur la nécessité de faire oublier l’aspect technique de sa peinture : “Je désire que les toiles aient l’air d’émanations et que la cuisine technique soit occultée (…) J’aime (...) que la toile surgit (sic) fascinante et difficilement saisissable en tant que technique” (02/09/1974).

À plusieurs reprises dans leur correspondance, Léonor Fini confie à Castor son mépris de la religion, qui constitue selon elle une “réponse au désespoir que les humains ne supportent pas” (03/03/1972). Elle refuse que l’on associe une dimension “divine” à son travail et dément le mythe de l’artiste tout-puissant : “on a un peu trop raconté que l’artiste est démiurge ect ect (sic) – lorsque ce n’est pas vrai du tout.” (07/08/1974) Elle voue en revanche un culte aux chats, qu’elle n’aura de cesse de dessiner et peindre, les plaçant souvent au même niveau que les humains, si ce n’est plus haut – elle va jusqu’à comparer les peines ressenties aux décès de sa mère et de sa chatte préférée : “elle était comme une partie de moi-même - et la plus belle – la moins détériorable - la plus gracieuse.” (21/09/1972)

La liberté avant tout, dans le travail comme dans l'intimité

À l’approche de la publication du Livre de Leonor Fini, l’artiste s’inquiète de la réaction des journalistes : “Le fait que je vis avec 2 et parfois 3 hommes cela rend le Mist [fumier, en allemand] fou. Mais je ne m’adapterai pas à leurs désirs - bien sûr que non. L’exception est toujours hai (sic).” (03/03/1975) Brièvement mariée puis divorcée, l’artiste vit depuis 1941 avec avec Stanislao Lepri – qui abandonna sa carrière de consul pour devenir artiste – et le ménage est rejoint en 1952 par Constantin Jelenski, dit “Kot” (“chat” en polonais). Pendant près de trente ans, ils vivent ensemble, parfois avec d’autres personnes comme Rafael Martinez, jusqu’à la mort de Stanislao en 1980. Cette vision très libre et assumée des relations amoureuses est aussi valable en amitié ; lorsque Léonor invite l’écrivain anglais Norman Glass à séjourner avec en Corse avec elle, Kot et Stanislao, elle ne supporte pas sa possessivité : il a fait sur moi une telle cristallisation, qu’il est jaloux et haineux envers mes autres amitiés. Il dit qu’il veut l’exclusivité (il est dans l’erreur totale.)(12/07/1972)

Pour Léonor Fini, l’argent n’a de valeur que par l’indépendance qu’il lui confère pour s’adonner à la peinture : “l’important pour moi c’est gagner bien pour pouvoir peindre le plus possible sans soucis et avoir surtout envie de peindre. Je m’intéresse à moi non à mon personnage et à mes succès.” (05/11/1972) Elle n'a que faire de la gloire : “en somme être connu ou célèbre c’est le “pire malheur”, et pourtant tant de malheurs guettent” (21/03/1976). Elle considère les marchands comme des “monstres nocifs” (26/12/1975) : “j’aimerais mieux ne jamais exposer – jamais aller aux vernissages – cela me répugne très fort – c'est si complexe – on ne peut pas éviter d’exposer – d’avoir des marchands ou malhonnêtes ou honnêtes et maladroits” (08/03/1975). Ce qu’elle veut, c’est “la paix dans [son] « enfer »” (15/08/1975), tranquillité qu’elle ne trouve que momentanément durant ses séjours en Corse ou dans sa propriété de St-Dyé-sur-Loire, en compagnie de ses proches et de sa meute de chats.

Si elle refuse d’être associée au mouvement féministe, comme à tout autre mouvement, Léonor Fini s’impose néanmoins comme une figure féminine forte et indépendante au sein d’un milieu artistique particulièrement hostile. Très critique vis-à-vis des hommes, elle ne tolère aucun comportement paternaliste de leur part c’est pour cela qu’elle déteste Breton et rompt toute relation avec ceux qui la déçoivent, à l’image de Norman Glass : “C’est surtout un être plein de malignité, d’hargne et passif en tout (...) Il m’en veut de façon si ridicule que je l’ai « frustré en tant que mâle ». Quel mâle ? Il m’applique des clichés psychanalytiques (...) Je lui ai vraiment tendu les mains de l’amitié, lui m’a tendu ses revendications de mâle qui n’existe pas (…) Au diable n’est-ce pas.” (27/09/1972) Très consciente des préjugés spécifiques touchant les femmes artistes, elle dénonce les violences subies par ces dernières : Envers une femme c’est pire. Dorothea Tanning en pleurant me raconta comment l’avaient accueilie les allemands avec des articles ironiques genre : ...und jetz kommt Madame... [Dorothea Tanning était l’épouse de Max Ernst] Femme d’un artiste elle est relativement protégée pour cela – souvent d’avantage persécutée. On ne pardonne surtout pas aux Femmes talent et génie - aux hommes non plus mais ils sont moins bassement attaqués." (03/03/1975)

Léonor Fini et ses contemporains : “Pourquoi j’ai eu besoin de « rugir » tellement ?” (03/03/1972)

Bien qu’elle déteste qu’on l’érige en idole, l’artiste éprouve néanmoins un certain plaisir à répondre à ses admirateurs, jouant avec eux tel les chats – qu'elle vénère – jouent avec les souris qu’ils viennent de chasser : “devenir mythique ou légendaire pour un autre, cela peut attirer – personnellement je déteste que tant de gens – une foule – m’a écrit des lettres où clairement je représente « le mythe » (…) parfois il y a des gens si drôles – si comiques si fous que je les laisse se manifester 2-3 fois et je joue un petit peu leur jeu – après j’en ai vite assez.” (18/09/1971)

Tantôt dithyrambique, tantôt assassine, Léonor Fini passe en revue ses lectures : "Castor, je vais vous choquer : les « palabres » de Dufour ou de Mandiargues m’ennuyent (sic), je ne lis rien de ce genre – les théories je n’écoute pas – ni les discussions. Je n’aime que l’art – la poésie qui peut se trouver « überall » mais rarement dans les théories et celles là me font un effet soporifique.” (17/10/1971) Elle se montre particulièrement critique avec Histoire d’O, un livre qu’elle a pourtant illustré : “J’ai encore refeuilleté “Histoire d’O” quelle ennuie (sic) ! (…) c’est artificiel ce ton de princesse de Clèves dans un milieu de photographes crétins (…) Et ce ton de critiques qui les yeux au ciel se sont mis en cœur de parler de la “sublime décence” de ce livre. Et pourquoi cela doit être décent ? Vive l’indécence de Genet et certains autres – ce “O” est si démodé déjà, une fleur des années 50. Et la préface de Paulhan que certains se pâmaient en disant “c’est le plus beau” je la trouve fausse et stupide. Que veut dire “enfin une femme ose parler” ?” (20/11/1975) À l’inverse, elle s’extasie à la lecture des Confessions d’un masque de Mishima, déplorant n’avoir pas connu leur auteur : une telle tension d’une enfance sado-masochiste – un tel gout effréné pour la destinée tragique que enfin il s’est créé et comme tout être prédestiné il me fascine – je regrette ne l’avoir pas connu – il aurait vu comme je le comprenais.” (03/03/1972)

Léonor Fini n’est pas plus clémente avec les artistes qui l’entourent. Elle annonce d’emblée sa haine pour Marcel Jouhandeau, tout en sachant qu’il entretient une riche correspondance avec Castor : "Je vous démystifie Jouhandeau vous me le pardonnerez ?” Max Ernst et Balthus trouve grâce à ses yeux, ainsi que Dubuffet : Je considère Dubuffet. Je vois son humour, ses inventions et sa valorisation de “l’art brut”, j’aime beaucoup” (lettre non datée, 1977). Ses sentiments sont plus ambivalents à l’égard de Meret Oppenheim, à qui elle reproche ses fréquentations : “elle est une de ces typiques amies-ennemies de moi – pendant des années, elle fut plus qu’ambigue – entre l’adoration et la hargne – envieuse – actuellement je la vois presque jamais et elle se croit comblée par la gloire surréaliste – elle voit un milieu que j’exècre – (faibles épignon[e]s de Breton)” (25/07/1973)

Sur deux décennies, cette correspondance documente l’évolution d’une artiste prolifique, déterminée et instinctive, femme-félin forte et indépendante à l’image des créatures peuplant ses toiles. Ces lettres inédites donnent un éclairage nouveau sur celle qui a mené sa vie comme elle a bâti son œuvre, avec une liberté absolue, et qui déclarait : "seul l’acte créatif est vraiment bon. Et les rares amis et les chats sacrosaints.” (06/05/1974)

P. Webb, Leonor Fini : métamorphoses d'un art, Imprimerie Nationale éditions, 2007. R. Overstreet, N. Zuckerman, Leonor Fini, catalogue raisonné of the oil painting, Scheidegger & Spiess, 2021.


Exceptional archive comprising 251 previously unpublished letters from Léonor Fini to art dealer and critic Castor Seibel, in which the artist confides with absolute frankness about every aspect of her daily life and work, revealing the raw thoughts of a woman with a volcanic temperament and shedding a new light on the work of one of the greatest Surrealist artists of the 20th century.

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