Les petites dimensions de notre œuvre n’enlèvent en rien son caractère tout à fait exceptionnel. À mi-chemin entre une miniature et un tableau, elle appartient en effet à une catégorie spécifique de petites peintures votives qui reprennent l’iconographie de donateur en prière telle qu’on la retrouve dans les vitraux, les polyptyques en émail peint, sur les tombeaux ou bien dans les manuscrits enluminés. Pour la France renaissante, un seul autre exemple était connu jusqu’alors : Henri III à genoux en prière au pied de la Croix conservé au musée du Louvre (inv. RF668, huile sur bois, 20 x 13 cm). Outre le format et la mise en scène sensiblement proches, le panneau du Louvre partage avec le nôtre un métier similaire, une exécution minutieuse, la présentation étonnante du donateur tourné vers le spectateur plutôt que vers l’objet de sa dévotion, ainsi que la précision remarquable des traits du visage qui contraste avec le rendu moins confiant du corps du Christ sur la Croix, de la Vierge et de saint Jean. Ceci fait rechercher l’auteur de ces œuvres parmi les portraitistes de la Cour des Valois plutôt que parmi les artistes peu coutumiers à peindre les visages d’après le vif. Il suffit pour s’en convaincre de considérer la ressemblance approximative des protagonistes du Bal à la cour des Valois récemment attribué à Hieronymus Francken (huile sur cuivre, 41 x 65 cm, musée du Louvre, inv. 8731).
C’est grâce à l’exactitude physique qu’il est possible de corriger l’ancienne identification du gentilhomme représenté dans notre tableau avec Henri, duc de Guise, chef de la Ligue catholique, même s’il était effectivement blond aux yeux bleus et s’il avait un peu plus de trente ans à l’époque indiquée par l’habit, à savoir les années 1580. Il s’agit en réalité d’Anne de Joyeuse dont le portrait est connu par un dessin conservé à la Bibliothèque nationale de France (Est. Na 22 rés., boîte 13) et une miniature du Muzeum Łazienki Królewskie de Varsovie (inv. LKr940, gouache sur vélin marouflé sur panneau et complétée à la gouache, 25 x 17,8 cm).
Issu d’une très ancienne famille noble du sud du Massif central, Anne fut le fils aîné de Guillaume de Joyeuse, client des Montmorency, et de Marie de Batarnay. Titré baron d’Arques, il reçut, avec ses cinq frères, une éducation excellente qui fit de lui un gentilhomme vaillant, instruit et affable. Il fit ses études à Toulouse avant d’entrer au collège de Navarre à Paris, fréquenté par les princes et fils de grands seigneurs. En 1575, Anne fit ses débuts militaires en Languedoc et fut présenté à la cour, devenant rapidement l’un des familiers du roi Henri III qui le combla d’honneurs : capitaine d’une compagnie des ordonnances du roi en 1579, gouverneur du Mont-Saint-Michel, il vit sa vicomté de Joyeuse érigée en duché-pairie en 1581, l’année de son mariage avec Marguerite de Lorraine, demi-sœur de la reine Louise. Une réelle amitié liait le roi et Joyeuse, doublée d’une stratégie politique qui consistait à élever les familles nouvelles d’une fidélité absolue à sa personne. Le souverain ne cessa d’élever le duc et ses frères, les posant en rivaux de la maison de Lorraine-Guise. Dès 1582, Anne fut promu chevalier de l’Ordre du Saint-Esprit et nommé grand-amiral de France, puis devint gouverneur de Normandie, alors que cette charge était ordinairement attribuée à un prince du sang. Il périt en 1587, à la bataille de Courtas contre le roi de Navarre. Sa disparition tragique, à vingt-sept ans seulement, causa une grande peine à Henri III.
Dans notre panneau, le duc est représenté agenouillé et les mains jointes en prière dans ce qui semble être un oratoire plutôt qu’une chapelle. Il est entièrement vêtu de noir, exception faite d’une large fraise godronnée et des manchettes. Luxueuse et sobre à la fois, sa tenue copie celle du roi qui ne portait plus que du noir à partir de 1578 environ et fait ressortir le bleu céleste du ruban du Saint-Esprit. La pièce est entièrement tendue de tissu noir semé de crânes, d’os et de larmes d’argent. La même étoffe recouvre l’autel et le prie-Dieu. Si cette décoration macabre évoquant la mort et l’affliction peut surprendre, elle est typique des appartements des veuves, notamment en période de grand deuil qui suit la mort de leurs époux. On retrouve ainsi cette emblématique chez Louise de Lorraine à Chenonceau où la reine douairière se retira à après le décès de Henri III. Il est tentant de voir ici une commande de Marguerite de Lorraine qui vécut douloureusement la perte de son mari et resta recluse pendant plusieurs années avant de reparaître à la cour.
La réalisation en fut très certainement confiée à Étienne Dumonstier, l’un des artistes les plus renommés dans les années 1580 et auteur déjà du portrait dessiné du duc de Joyeuse. Élève de François Clouet, Dumonstier était le portraitiste en titre de la reine mère et du roi, dont il s’occupa de la représentation officielle. Sa manière différait de celle de ses confrères par une importance particulière accordée à la plastique du visage, au rayon de lumière qui traverse l’iris, aux reflets glissant sur les cheveux et le long de l’arrête du nez, soit autant de caractéristiques qu’on retrouve dans notre tableau.
Nous remercions Alexandra Zvereva d'avoir attribué ce panneau à Etienne Dumonstier après un examen direct de l'oeuvre et pour la rédaction de cette notice.
Post Lot Text
ÉTIENNE DUMONSTIER, PORTRAIT OF ANNE, DUC DE JOYEUSE PRAYING IN FRONT OF A CRUCIFIXION, OIL ON PANEL
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