“Il n’est probablement pas au monde de meubles plus célèbre que le grand secrétaire à cylindre » déclare Pierre Verlet, conservateur en chef du Mobilier et des Objets d'art du musée du Louvre en 1955, à propos du bureau du Roi réalisé par Jean-François Oeben et Jean-Henri Riesener, pour le cabinet intérieur de Louis XV à Versailles (inv. V3750). Commencée en 1760, la réalisation de ce bureau est une telle entreprise qu’elle dure neuf ans, Riesener succédant à Oeben, qui décède en 1763. Dessinés par Jean-Claude Duplessis, les bronzes sont fondus et ciselés par Louis-Barthelemy Hervieu. Dès sa réalisation, cette pièce connaît un si grand succès qu’elle permet à Riesener de gagner l’attention de Pierre-Elisabeth de Fontanieu, l’intendant et contrôleur général du Garde-Meuble, grâce à qui il devient fournisseur officiel de la Cour de France entre 1774 et 1785.
Le succès de ce bureau se poursuit durant des décennies : en 1787, Guillaume Benneman est commissionné pour réaliser une version plate, sans le cylindre, aujourd’hui conservée au Waddesdon Manor (inv. 2575), comparable à la nôtre. Près d’un siècle plus tard, entre 1853 et 1870, Lord Herdford, l’un des plus grands amateurs de son temps, passionné par le mobilier français du XVIIIe siècle, a le premier l’audace de faire réaliser des copies de meubles royaux, parmi lesquelles celle de ce bureau du roi Louis XV. Executé par Carl Dreschler, il est aujourd’hui conservé à la Wallace Collection de Londres (inv. F460).
Les copies se succédent ensuite par les plus grands ébénistes du XIXe siècle, tels qu’Henry Dasson, Joseph-Emmanuel Zwiener, ou encore Alfred-Emmanuel Beurdeley. Henry Dasson en présente une copie à l’Exposition universelle de 1878, puis Alfred-Emmanuel Beurdeley et Joseph-Emmanuel Zwiener à celle de 1889, et enfin, François Linke expose sa version au Salon des industries du mobilier en 1905 à Paris.
Linke est probablement l’ébéniste qui fit le plus de copies de ce bureau : d’abord en 1901, en 1910, en 1922 et vers 1940. Il les réalise dès son installation place Vendôme, après avoir reçu la médaille d’or à l’Exposition Universelle de 1900 pour un bureau en bois de violette de style Louis XV. Les bronzes du bureau original de Riesener, dont il n’est resté aucun moule, étaient perfectionnés sur un bâti spécialement conçu à cet effet. Des archives photographiques attestent que François Linke suivait volontairement la même méthode. Il dépensait d’ailleurs des sommes considérables pour acheter des modèles de bronzes aux enchères publiques, afin de réaliser des pièces d’une qualité égale, voire supérieure aux originales. Certaines de ses versions font l’objet d’interprétations particulièrement créatives, en se distinguant par exemple du modèle original par des plaques de porcelaine jasperware sur les côtés (C. Payne, European Furniture of the 19th century, Londres, 1981, p. 91 et 93). Ces copies connaissaient d’ailleurs un grand succès auprès des collectionneurs et du public : Linke écrit un jour dans son journal quotidien, le 24 octobre 1900, que le Président du Conseil municipal se rendit à son stand à l’Exposition universelle, souhaitant lui commander « des copies de meubles dans les musées ».