Claude Javoy et l'anglomanie à la fin du XVIIIe siècle
Claude Javoy exerce d'abord rue d'Argenteuil puis, au début des années 1780, établit son atelier à Nantes, rue des Hauts-Pavés. Les artisans locaux ne l'accueillent pas de bonne foi et lui intentent même un procès, qu'il emporte en 1787. Cette paire de chaises pourrait illustrer l'influence du mobilier anglais en acajou ajouré sur la création des ébénistes français à la fin du XVIIIe siècle. Un ensemble d'une chaise et d'un fauteuil anglais en acajou, vers 1775, illustrés dans C.C. Stevens, S. Whittington, 18th Century English Furniture, Woodbridge, 1983, p. 69, sont ainsi étonnemment comparables, présentant un dossier ajouré centré d'une lyre.
Cette paire de chaises illustre également l'influence et l'émulation réciproques qu'entretiennent les ébénistes à Paris à la fin du XVIIIe siècle : le menuisier Adrien-Pierre Dupain a notamment réalisé une paire au dossier très comparable, vendue chez Christie's à Paris lors de la vente de la collection Juan de Beistegui, le 10 septembre 2018, lot 16.
Une provenance prestigieuse : La collection Fould-Springer au Palais Abbatial de Royaumont
Cette paire de chaises a fait partie de la collection Fould-Springer du Palais Abbatial de Royaumont, près de Chantilly, dont Christie’s a eu l’honneur d’organiser vente les 19, 20 et 21 septembre 2011. Dans cet important Palais néoclassique, conçu vers 1780 par l’architecte Louis Le Masson pour l’abbé de Balivière, cette paire de chaise cotoyait une remarquable collection d’objets d’art, de mobilier, de dessins et tableaux anciens et du XIXème siècle, de sculptures et céramiques européennes, d’orfèvrerie et d’Art d’Asie, laissées quasiment intactes dans leur écrin, jusqu'à leur vente. Les sièges néoclassiques français constituent d'ailleurs l’un des axes majeurs de la collection, à l'image de l'architecture du palais, inspirée du style palladien.
Le palais est vendu en 1923 au baron et à la baronne Fould-Springer. Eugène Fould, futur Baron Fould-Springer, apparenté à Achille Fould, ministre des Finances de Napoléon III, descend d’une des plus illustres familles de financiers et d’industriels du XIXème siècle. C’est en partie à cette famille qu’est due la construction de la Tour Eiffel, dont chaque fer principal, des Forges de Pompey, porte le nom de Fould, ainsi que la Fondation du Jockey-Club, ou encore l’Hôpital Heine-Fould.
Le baron et la baronne Fould-Springer organisent de nombreuses fêtes au Palais Abbatial, où se cotoient Sacha Guitry, Marcel Proust, ainsi que Charles Ephrussi, neveu du baron et de la baronne Fould-Springer, fondateur de la Gazette des Beaux-Arts, dont on prétend que l’écrivain se serait inspiré pour créer le personnage de Charles Swann dans A la recherche du temps perdu. Comme une partie importante de la collection, ces chaises ont pu être préservées pendant la guerre grâce à l’intervention d’un membre de la famille, Eduardo Propper de Callejon, diplomate espagnol, mari d’Hélène Fould-Springer, l’une des filles du baron et de la baronne.