Cette paire de porte-torchères incarnent parfaitement le goût et la fascination pour la marqueterie dite "Boulle" au XIXe siècle. Largement inspirées des créations du célèbre ébéniste André-Charles Boulle (1642-1732), elles montrent que le succès de ces meubles louisquatorzien ne s'est jamais démenti.
Une paire de porte-torchères en marqueterie dite "Boulle"
À l'origine, ces porte-torchères, aussi appelées "guéridons", étaient placées de chaque côté d'un meuble ou d'une table et supportaient des candélabres. Notre paire, réalisée au XIXe siècle, s'inpire largement d'un modèle de torchère connu d'André-Charles Boulle. Des torchères de ce type figurent sur les planches des Nouveaux Deisseins de Meubles et Ouvrages de Bronze et de Marqueterie d'André Charles Boulle publiés par Jean Mariette en 1707 (voir les collections du Victorian and Albert Museum, inv. E.1091-1908).
Ainsi, divers éléments caractéristiques des torchères créées par André-Charles se retrouvent sur les nôtres. Un modèle similaire a été vendu lors de la troisième vacation de la célèbre vente de la collection de Jacques Doucet, à la galerie Georges Petit, à Paris, le 7 juin 1912, lot 316. Près d'un siècle plus tard, après avoir été légèrement modifié en partie haute et placé en paire, ce guéridon a été vendu chez Christie's à New York, le 2 novembre 2000, lot 37. Notons une paire semblable conservée au J. Paul Getty Museum à Los Angeles (inv. 87.DA.5).
Nous retrouvons un piétement tripode similaire, les pieds en enroulement, ornés de tabliers à franges, de mascarons, et surmontés de pattes de bouc, sur une paire de torchères conservée à la Wallace Collection de Londres (inv. F417) et sur une autre conservée au musée du Louvre (inv. OA 10451). Enfin, notons l'utilisation récurrente des montants en forme de gaines fuselés sommés de têtes de bouc dans l'oeuvre d'André-Charles Boulle, notamment sur deux cabinets conservés au musée du Louvre (inv. OA 5452 et inv. OA 5468), nos torchères néo-Boulle présentant des montants semblables.
À la fin du XVIIIe siècle, période de renouveau du goût pour le mobilier marqueté de matél et d'écaille
Perfectionnée au XVIIe siècle par André-Charles Boulle, la marqueterie de métal et d'écaille a su se réinventer et s'adapter au fil des modes. À la mort de l'ébéniste en 1732, ses fils prennent le relais en apposant la marqueterie sur des meubles Régence, puis Rocaille. Dès le milieu du XVIIIe siècle, des panneaux de marqueterie de l'époque d'André-Charles Boulle sont réemployés et placés sur des nouveaux meubles. Dans les années 1760-1770, la marqueterie 'Boulle' se conforme aux évolutions stylistiques et adoptent les formes et ornements néoclassiques et antiquisants. Les Julliot, marchands parisiens importants de la seconde moitié du XVIIIe siècle, sont devenus les plus grands négociants de meubles néo-Boulle. Ainsi, ils sous-traitent à divers ébénistes, tels que Levasseur, Weisweiler et Montigny, pour satisfaire les demandes grandissantes de leur clientèle.
Le style Boulle du XIXe au XXe siècle
À la chute de l’Ancien Régime, le goût pour la marqueterie Boulle décline sans disparaître. Sous l’Empire, une paire de candélabres en marqueterie Boulle est livrée pour l’impératrice Marie-Louise aux Tuileries (aujourd’hui au musée du Louvre, inv. GME 1425/1). Sous la Monarchie de Juillet, les réameublements de Louis-Philippe relancent le style avec des meubles néo-Boulle pour le Grand Trianon, Saint-Cloud ou les Tuileries, réalisés par Bellangé, Grohé et Monbro.
Sous le Second Empire, Napoléon III perpétue ce goût dans un esprit de légitimation historique : les salles à manger du Louvre (1857-1861) reprennent un décor louis-quatorzien à marqueterie métallique. L’industrialisation multiplie alors les fabricants, tandis que les grands collectionneurs, comme les Rothschild, entretiennent la mode.
À la Belle Époque, le néo-Boulle s’éteint progressivement, avant de renaître au XXe siècle grâce à des collectionneurs tels que les Wrightsman, les Wildenstein ou Hubert de Givenchy.