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EXPÉDITION D'ÉGYPTE [LE PÈRE, Jacques-Marie (1763-1841) et Gratien LE PÈRE (1769-1826)]
Description de l’Egypte, ou Recueil des observations et des recherches qui ont été faites en Egypte pendant l’expédition de l’Armée française. Paris : Imprimerie Impériale, 1809-1813, Imprimerie Royale, 1817-[1830].

L'exemplaire de Gratien Le Père, ingénieur des Ponts et Chaussées et membre de l'expédition de Bonaparte en Égypte - exemplaire sur grand papier, avec les planches d'ornithologie et de minéralogie coloriées à la main, en cartonnages de l'époque et en superbe condition, dans sa caisse de transport sur mesure.

23 volumes, comprenant : 9 vol. de texte in-folio (400 x 260 mm), 11 vol. format Jésus (700 x 535 mm) et 3 volumes de planches format grand aigle (1070 x 700 mm). Édition originale.
- Volumes de planches : 1 frontispice en noir, 838 planches, dont 30 imprimées en couleurs "à la poupée", et notre exemplaire avec les 14 planches d'oiseaux coloriées au pinceau et les 15 planches de minéralogie coloriées au pinceau et avec rehauts de gomme arabique, caractéristiques des grands papiers (manquent la carte de l'Egypte antique et la carte de l'Egypte moderne).
Les planches de format plus important sont reliées dans les volumes de format grand aigle.

- Planches comprises dans les volumes de texte :
Antiquités, Mémoires, I : 1 carte dépliante, 2 planches et 10 tableaux, la plupart dépliants, ainsi que 2 planches dans le texte.
La collation de Blackmer, qui fait état d’une carte dépliante manquante ici mais n’évoque pas les gravures dans le texte, semble inexacte. La composition de notre exemplaire est identique à celle de la Library of Congress.
Antiquités, Mémoires, II : portrait de Berthollet, 19 planches et 2 cartes dépliantes. Complet d’après Blackmer.
Antiquités, Descriptions, II : Portrait de Monge. Complet d’après Blackmer.
État Moderne, II : portrait de Conté, 4 planches dont 3 dépliantes. Il manquerait une planche d’après Blackmer, mais la composition de notre exemplaire est identique à celle de la Library of Congress.
Histoire Naturelle, II : portrait de Lancret et 1 planche dépliante. Complet d’après Blackmer.

- Volume de la Carte topographique de l'Égypte : titre, tableau d'assemblage (2 planches sur une feuille), "Carte géographique de l'Égypte" (sur 3 feuilles), et 44 feuilles (dont 3 donnent 2 sujets chacune). Mouillure en marge extérieure de la première moitié du volume. Manque un feuillet (“Noms des ingénieurs qui ont fourni les matériaux »).

Condition intérieure : quelques rousseurs et brunissures (certains feuillets de texte des volumes de planches sont particulièrement brunis), rares accrocs marginaux, quelques pliures et mouillures. Contacter le département pour des photographies de l'ensemble des volumes.

Reliures :
Volumes de texte in-folio et format Jésus : cartonnages de l'époque recouverts de papier maroquiné rouge à long grain, dos lisse, faux-nerfs dorés, pièce de titre et tomaison en papier maroquiné bleu nuit à long grain, tomaison générale en pied des dos.
Volumes de planches : cartonnages de l'époque, plats de papier marbré bleu, dos lisses de papier maroquiné rouge à long grain, faux-nerfs dorés, pièce de titre et tomaison en papier maroquiné bleu nuit à long grain, tomaison générale en pied des dos. Quelques frottements et manques aux cartonnages, petits accidents à certains coins et certaines coupes, certains mors usés et partiellement fendus.

L'ensemble des volumes de planches est conservé dans sa caisse de transport ancienne en bois, avec rivets de métal, portant le n°8. Dimensions de la caisse : Hauteur : 83 cm ; Largeur : 120 cm ; Profondeur : 42 cm.

Provenance : Gratien Le Père (1769-1826 ; nombreuses mentions manuscrites indiquant "Mr. Le Pere" ou "“Mr Le Pere Gratien”) -- par descendance aux propriétaires actuels.

Contacter le département pour la collation détaillée.

A very attractive deluxe copy of the first edition, with the ornithological and mineralogical plates coloured by hand and with finishing touches of arabic gum, in contemporary boards. The copy belonged to a member of the expedition : Gratien Le Père, a French civil engineer, who was one of the most active scientists in Egypt, and remained in the family ever since. The plate volumes are kept in their original wooden crate, certainly used for transportation.
Sale Room Notice
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Lot Essay

Le début de la Campagne d’Égypte :
Lorsque le Directoire décide de mener Campagne en Egypte, les visées sont multiples : il s’agit tout d’abord attaquer les positions et zones d’influences anglaises en Egypte puis en Inde, et ainsi, mettre à mal sa suprématie maritime en s’assurant le contrôle de la Méditerranée. Une campagne lointaine et au long cours apparut également comme le meilleur moyen d’éloigner un temps Bonaparte, général à l’étoile montante, encore tout auréolé d’une gloire acquise par les armes en Italie et qui commence à faire ombrage dans les milieux politiques. Pour le général victorieux, c’est un nouveau défi, une nouvelle conquête qui doit le placer directement dans les pas d’Alexandre le Grand. Mais de son point de vue, les ambitions sont également multiples : dans la lignée des voyages de Bougainville, Cook et La Pérouse, Bonaparte veut adjoindre à l’expédition militaire une commission scientifique, artistique et intellectuelle. Dès son retour d’Italie, Bonaparte s’était fait aider de son ami Gaspard Monge pour siéger à l’Institut National de France, et ainsi, tisser des liens avec les grandes figures intellectuelles du pays.
Afin de ne pas dévoiler les visées et objectifs stratégiques de l’expédition, peu nombreux sont ceux au courant de sa destination réelle, Naples, le Portugal voire l’Angleterre sont cités pour brouiller les pistes. Pour autant, de tels préparatifs ne peuvent passer inaperçus : le 1er avril 1798, Le Moniteur révèle qu’il “se prépare une expédition à la fois savante et militaire dont la destination est pour une autre partie du monde. Des hommes très distingués dans toutes les sciences et dans tous les arts [...] en font partie”.
En effet, en à peine deux mois, une véritable armada s’assemble en France et converge vers Toulon. Les chiffres sont éloquents : 36000 soldats, 2500 officiers, plus de 350 navires de guerre et bateaux de transport.
Le 16 mars 1798, le Ministre de l'Intérieur est chargé de « mettre à la disposition du général en chef Bonaparte, des ingénieurs, savants et artistes » pour mettre sur pied une Commission des sciences et des arts.
Dix jours plus tard, une première liste est établie, que Bonaparte envoie au Ministre : parmi les noms, on lit ceux des frères Le Père, Jacques-Marie et Gratien.
Les deux frères étudièrent à l’école militaire de Brienne, Gratien y fut même condisciple de Bonaparte. Jacques-Marie devint ingénieur en chef des Ponts-et-Chaussées en 1796. C’est donc tout logiquement que l’aîné et son cadet intègrent le corps des Ingénieurs des Ponts et Chaussés ; Jacques-Marie en tant que directeur, et Gratien comme ingénieur.
Dans les semaines qui viennent, des notes de service, véritables circulaires de réquisition, sont adressées à l’ensemble des scientifiques : “le directoire exécutif ayant dans les circonstances un besoin plus particulier de vos talents et de votre zèle, vient de disposer de vous pour cause de service public. Vous voudrez bien vous préparer et vous tenir prêt à partir au premier ordre”. La circulaire leur assure que leur salaire sera versé à leurs familles pendant leur absence, sans préciser si celle-ci se comptera en jours, en mois, ou en années.
Arrivés à Toulon, les frères Le Père embarquent sur le vaisseau l’Aquilon, et, le 19 mai 1798, prennent la mer, direction : l’Égypte.

Les frères Le Père en Égypte, et leurs travaux :

Les deux frères ont été parmi les scientifiques les plus actifs, à leur arrivée en Egypte.
Entre le 15 janvier et le 8 février 1799, Jacques-Marie et Gratien, accompagnés par Saint-Genis et Dubois-Aymé qui les rejoint le 31, quittent le Caire pour réaliser le nivellement de l’ancien Canal reliant la Mer Rouge au Nil.
Les travaux sont difficiles, notamment par manque d’équipement : “Les instrumens [que nos ingénieurs] avaient sous la main se trouvant insuffisants, il fallut faire un voyage au Caire pour réparer cet oubli. Mais là même, on ne trouva qu’une portion de ce qui était nécessaire pour ce grand ouvrage. La collection d’instruments achetés à Paris était incomplète : le vaisseau Le Patriote, qui en portait une partie, avait fait naufrage ; l’autre partie, déposée dans la maison du général Caffarelli, avait été pillée dans la révolte du Caire. Il était donc impossible d’opérer sur ce terrain par une triangulation continue et, pour y suppléer, il fallut multiplier les observations astronomiques” (Reybaud, Histoire scientifique et militaire de l’expédition française en Egypte, IV, pp. 235-236).
Le 15 juillet de la même année, Gratien quitte Le Caire avec Menou en direction du Fayoum, à la poursuite de Mourad-Bey. Apprenant le débarquement turc à Aboukir, Menou reçoit l’ordre de rejoindre le gros des troupes, et les ingénieurs reprennent la route du Caire. Mi-novembre 1799, Gratien Le Père, accompagné d’autres ingénieurs, quitte Le Caire pour une nouvelle campagne de nivellement, dont les opérations s’achèvent en décembre.
Mi-septembre 1800, Gratien Le Père et Chabrol, chargés de constater la rupture de la digue de Saqqarah, parcourent en bateau la province de Guizeh. L’année suivante, autour du 5 janvier 1801, Gratien, Larrey, Geoffroy Saint-Hilaire et d’autres visitent la pyramide de Dahchour. Le Père retrace le voyage devant l’institut d’Egypte (54 e séance, le 6 janvier). Du 6 au 10 mai de la même année, Gratien Le Père et quelques autres savants quittent Alexandrie et partent explorer les îles et rives du lac Maréotis.
En 1826, Gratien Le Père fait paraître un court : Mémoire sur les pyramides d'Égypte et sur le système religieux de leur érection et de leur destination (Poitiers, Babier, IV + 24 pp.). Dans son avertissement liminaire, il indique que ce mémoire est basé sur les six visites qu’il a faites, “par terre et par eau”, dans “l’ancienne Memphis”, “les 22 avril et 15 décembre 1799, les 1er et 12 septembre 1800, et les 3 janvier et 25 février 1801”.
En outre, il donne quelques détails sur sa contribution à la Description de l’Egypte. Le 8 septembre 1818, le président de la commission l’invite à transmettre son mémoire général, minuté sous la date du 3 octobre 1803, à M. de Chabrol, que la commission avait chargé de rédiger le mémoire de la Description de l’Egypte sur les pyramides de Memphis. C’est finalement Jomard qui prend le relais, et Le Père retranscrit une lettre de ce dernier, le remerciant de l’envoi de ses notes. Cette publication de 1826 est en fait fondée sur des remarques additionnelles, plus subjectives, que Le Père songeait moins avoir leur place dans un ouvrage descriptif.
Il cite, enfin, une lettre de la commission, adressée au Ministre de l’Intérieur, datée du 26 février 1826, “au moment de la clôture des travaux de la Commission”. Ils lui recommandent, en particulier, Gratien Le Père, qui a “introduit [dans l’ouvrage] beaucoup de mémoires qui intéressent la navigation intérieure, l’hydrographie, ainsi que la géographie ancienne et moderne”, mais surtout pour sa part “aux opérations pénibles et difficiles du nivellement de l’isthme de Suez : aucun des ingénieurs n’a fait plus d’excursions dans le désert pour déterminer les éléments de ce travail”.
Une demi-douzaine de mémoires inclus dans la Description de l’Egypte portent la signature de l’un ou l’autre frères Le Père.

Mémoires de la description de l’Egypte portant leurs noms :
GRATIEN
“Mémoire sur la partie occidentale de la province de Bahyreh...”, dans Etat Moderne, II, pp. 7-20.
“Extrait d’un mémoire sur les lacs et les déserts de la Basse-Egypte", dans Etat Moderne, II, pp. 467-482.
“Mémoire sur la ville d’Alexandrie”, dans Etat Moderne, II, 2e partie, pp. 269-324.
“Observations sur le profil de nivellement de la vallée du Nil...”, dans Etat Moderne, II, 2 e partie, pp. 325-332.

JACQUES-MARIE
“Mémoire sur la communication de la mer des Indes à la Méditerranée, par la mer Rouge et l’isthme de Soueys”, dans Etat Moderne, I, pp. 21-186.
“Mémoire sur la vallée du nil et le nilomètre de l’île de Roudah...”, dans Etat Moderne, II, 2e partie, pp. 527-570.

L'entreprise éditoriale :
Les conquêtes s’effacent mais les découvertes restent. L’échec militaire et politique de la campagne d’Égypte doit être transformé en triomphe scientifique. Si elles sont parfois galvaudées, les expressions “monument de papier” et “projet éditorial pharaonique” semblent faites pour ce livre.
De la même manière que Bonaparte souhaitait suivre les traces de Cook et de La Pérouse en embarquant scientifiques et artistes à son départ de Toulon, la publication des recherches et des découvertes s’inscrit dans la tradition séculaire des relations de voyage. Mais par son ampleur et son ambition universelle quant aux sujets abordés, la future Description de l’Egypte est à rapprocher de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert. En réalité, l’idée d’un ouvrage collectif germe dès 1799, d’abord sous la plume de Geoffroy Saint-Hilaire qui, du Caire, confiait à Cuvier : « Nous avons recueilli les matériaux du plus bel ouvrage qu'une nation ait pu faire entreprendre […] Oui, mon ami, il arrivera que l'ouvrage de la Commission des arts excusera, aux yeux de la postérité, la légèreté avec laquelle notre nation s'est, pour ainsi dire, précipitée en Orient ». Le 22 novembre de la même année (1er frimaire an VIII), le général Kléber écrit au président de l’Institut : “[l’enjeu est] de recueillir pour répandre l’instruction, et concourir à élever un monument littéraire, digne du nom français. Je désire en conséquence que l’on prenne des mesures promptes pour assurer la rédaction des différens travaux, pour distribuer les matières, et désigner celui qui sera charger d’ordonner l’ensemble de ce beau tableau et d’en lier toutes les parties” (Courrier de l’Egypte, n°47). C’est le mathématicien Joseph Fourier qui reçoit la lourde tâche de coordonner le projet.
Dans son Journal et Souvenirs sur l’Expédition d’Egypte, l’ingénieur Édouard de Villiers du Terrage relate : "Fourier a lu une lettre que le président venait de recevoir de Kléber. Dans cette lettre, il est dit que le Gouvernement serait heureux si tous les citoyens français, à quelque corps qu'ils appartiennent, voulaient réunir leurs travaux sur la Haute-Égypte pour en faire un ouvrage commun. L'Institut décide donc que, pour donner à ce travail le plus d'unité et de perfection possible, Fourier devra réunir, pour s'entendre sur ce sujet, la Commission des Arts et tous les auteurs de mémoires dont on pourrait profiter. [...] Ce fut le premier point de départ de la réunion des documents qui, plus tard, ont servi à la rédaction de la grande Description de l'Égypte dont on voit que l'initiative revient sans conteste au général Kléber."

Kléber est assassiné en juin 1800. Son successeur, le général Menou, suit de près le travail sur "le grand ouvrage sur l’Egypte”, et le place sous le patronage officiel de la République.
On le voit, les objectifs sont multiples : scientifiques, artistiques, culturels, bien entendu, le tout s’inscrivant dans un dessin politique. L’ouvrage est aussi en phase avec une mode qui s’est répandue en France comme dans toute l’Europe depuis le XVIIe siècle : l’égyptomanie. En 1646, le Britannique John Greaves avait fait paraître sa Pyramidographia, consacrée aux pyramides de Gizeh. Mais il semble que ce soient surtout les ouvrages de Volney (1757-1820) qui aient eu une influence directe sur l’expédition et la Description de l’Egypte. Son Voyage en Egypte et en Syrie est publié en 1787, à son retour en France après un périple de deux ans et demi. Il s’inscrit, intellectuellement, dans la même démarche qui avait animé les rédacteurs de l’Encyclopédie : la description des pays traversés et des cultures rencontrées se veut pluridisciplinaire et factuelle. L’ouvrage est un grand succès de librairie et la précision du tableau dressé par Volney sera universellement saluée, Vivant Denon indiquant notamment : « forme, couleur, sensation, tout y est, et peint avec un tel degré de vérité, que quelque mois après, relisant ces belles pages de son livre, je crus que je rentrais de nouveau à Alexandrie ». Ce succès permet à Volney de tisser des liens dans les milieux politiques et diplomatiques. Il fait la connaissance de Bonaparte début 1792 – il sera l’un de ses conseillers, jusqu’à la signature du Concordat, à l’été 1801. Plus encore, Volney, via son influence dans les milieux scientifiques du directoire, fit entrer plusieurs de ses amis idéologues dans la mission qui allait accompagner l’expédition de Bonaparte (Ouasti, p.78).

Le 6 février 1802 est rendu l’arrêté fondateur de la Description de l’Égypte, qui n’a pas encore de titre. Le texte stipule notamment que tous les « mémoires, plans, dessins et généralement tous les résultats relatifs aux sciences et arts, obtenus pendant le cours de l'expédition d’Égypte seront publiés aux frais du Gouvernement », et que l'ensemble sera réparti en quatre parties : « Antiquités », « État moderne », « Histoire naturelle » et « Géographie”.
Si l’entreprise vise à maintenir une rigueur et une objectivité scientifiques, posant, si l’on peut dire, les premières pierres de l’égyptologie moderne, l’ouvrage est malgré tout parcouru de traits romanesques et s'apparente parfois aux récits de voyages pittoresques. Le rigoureux ingénieur Jomard se fait ainsi lyrique lorsqu’il décrit l’île d’Éléphantine : “on se promène, on se repose avec délices à l’ombre de ces arbres toujours verts ; l’air pur et frais qu’on y respire cause une sensation inexprimable, dont le charme ne peut bien être senti que par ceux qui ont approché du tropique. [...] Au milieu de tous ces tableaux si variés, si pittoresques, le voyageur jouit encore du spectacle de plusieurs antiques monumens qui sont restés debout ; faibles mais précieux vestiges de l’ancienne puissance d’Éléphantine” (t. I, pp. 167-177). Nous ne sommes pas loin d’une certaine “poétique des ruines”. Il tombe aussi dans l’écueil des stéréotypes orientalisants, notamment lorsqu’il s’attache à décrire les populations : “conformément au discours orientaliste des Lumières, consacré par Montesquieu, Voltaire ou Raynal, la France croit faire le bonheur de l’Egypte en la colonisant” (Ouasti, p.80). Dubois-Aymé, ingénieur et membre de l’expédition, reconnaîtra avec lucidité : “les vices nous frappent, les vertus nous échappent” (tome XII, p. 439).

La Description de l’Égypte est le fruit de plusieurs décennies de travail, les dates présentes sur les pages de titre ne donnant qu’une idée imprécise des dates réelles de rédaction, compilation et achèvement des volumes. Les problématiques sont, évidemment, multiples : la coordination de nombreux contributeurs, la réunion, la mise en ordre logique et la transcription des manuscrits, la commande des plaques gravées d’après les dessins originaux, et, évidemment, l’impression, la reliure et autres étapes de façonnage du livre dans sa matérialité.
Le 8 juillet 1810, Le Moniteur universel annonce la première livraison de l’ouvrage, et, par la même occasion, le baptise enfin : Description de l'Égypte, ou Recueil des observations et des recherches qui ont été faites en Égypte pendant l'expédition de l'Armée française, publié par les ordres de Sa Majesté l’Empereur Napoléon le Grand.
Publication officielle, dont l’exhaustivité, la stature et la qualité doivent faire oublier l’échec politique et militaire de la campagne, la Description de l’Égypte s'est accompagnée d’avancées considérables dans les domaines de l’impression, la typographie et la gravure. Pour réaliser les volumes de planches de format grand aigle, on fait construire des presses de dimensions jusqu’ici inédites, qui utilisent un papier vélin de grande qualité. Dans sa préface, Fourier indique être “parvenu à graver des ciels et des fonds à l'aide d'une machine qui supplée à un travail long et dispendieux ; et la beauté de l'exécution surpasse tout ce qu'on pourrait attendre d'un artiste le mieux exercé ». On doit l’invention de cette machine, une sorte de pantographe, à Nicolas-Jacques Conté, par ailleurs inventeur d’un crayon graphite resté célèbre.
“Pour les volumes de texte, les papeteries d’Arches fourniront au total un million trois cent mille feuilles” (référence Lassus description egypte, p. 21).

Mille exemplaires de l’ouvrage sont imprimés. Certains sont issus d’un tirage plus luxueux, avec les quatorze planches d’ornithologies coloriées à la main, ainsi que les planches de minéralogie, coloriées et sur lesquelles de la gomme arabique a été appliquée - c’est le cas du présent exemplaire. Ces planches rehaussées viennent en complément de planches imprimées en couleurs via le procédé dit “à la poupée”, où les couleurs sont appliquées à la main sur la planche, avec des petits bâtonnets surmontés de tissu, pour que toutes s’impriment en une presse.
Cependant, qu’il s’agisse du tirage de luxe ou du tirage “courant”, le coût de l’ouvrage le réserve aux plus fortunés : un prospectus de 1810 détaille les prix, de 3550 à 5550 francs, en fonction de la qualité du papier et du nombre de planches retouchées au pinceau. A titre de comparaison, le traitement annuel de Jomard s’élevait à 6000 francs.
À la chute de l’Empire, tous les volumes ne sont pas encore parus et le changement de régime a évidemment un impact sur la poursuite de la publication. Si le roi Louis XVIII accorde son patronage à l’ouvrage le 19 septembre 1814, l’ouvrage est un gouffre financier. On se décide alors à réaliser une seconde édition, de format réduit et ne comprenant qu’une seule planche en couleurs, dont les bénéfices doivent avant tout... achever de payer les frais de l’édition originale. Le dernier volume paraît en 1829. “Commencé donc en 1802, sous le Consulat, l’ouvrage est enfin terminé vingt-huit ans plus tard, sous la monarchie de Juillet” (Lassus, p. 18).

Le présent exemplaire, issu du tirage de luxe, est revêtu de ses cartonnages originels, probablement exécutés par Jean-Joseph Tessier, relieur du duc d’Orléans, qui a réalisé la plupart des reliures. Contrairement à d’autres exemplaires, il est ainsi à toutes marges, condition particulièrement désirable pour un tel ouvrage. On notera que la couleur des cartonnages suit une logique de contenu, plutôt que de formats : les volumes de texte in-folio étant en cartonnages rouges, le grand volume contenant la préface et l’avertissement, est relié à l’identique. Les volumes de planches, de format Jésus comme Grand aigle, sont revêtus de cartonnages marbrés bleus, avec des dos de papier maroquiné rouge.

La Description de l’Égypte, en tant qu’ensemble bibliophilique, est aussi connue pour le meuble sur mesure, réalisé par l’ébéniste parisien Charles Morel d’après des décorations de Jomard, un somptueux écrin qui abrite quelques exemplaires de prestige, dont ceux de l’Assemblée Nationale et du Sénat. Le présent exemplaire est, lui, accompagné d’une pièce d’ébénisterie d’un autre genre : une grande caisse de bois, réalisée sur mesure, pour abriter les quatorze volumes de planches. Il s’agit, à n’en pas douter, d’une caisse de transport – qui semble donc dater de la fin de la publication.
Les sources contemporaines font état de ces caisses utilisées pour le transport et la livraison des exemplaires. Ainsi, le 12 octobre 1816, le ministre de l’Intérieur Joseph-Henri-Joachim Lainé écrivit au peintre Charles Thévenin pour l’informer de l’expédition d’une caisse contenant une partie des volumes de la Description de l’Egypte. Il s’agissait de l’exemplaire destiné à l’Académie de France à Rome, dont Thévenin était alors directeur (Archives Nationales, Pierrefitte sur Seine, 20180401/1, fol. 219).

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