Le premier discours en Sorbonne : Sur les avantages que l’établissement du christianisme a procurés au genre humain (manuscrits 1 à 4)
La notion de progrès est mentionnée dès les premières lignes du brouillon de la préface au premier discours, où Turgot ébauche une idée de plan : « Plan historique. Commencer par exposer l’état du genre humain à la venue de JC. Chercher les causes de l’idolatrie de l’athéisme, de la corruption des moeurs parmi les payens (…) peindre la révolution de l’établissement du Christianime, en suivre les progrès, marquer les utilités par des faits intéressans jusqu’à nos jours ». Selon lui, le christianisme donne un fondement moral aux sociétés : avant lui, « l’amour de sa patrie etoit moins l’amour du bonheur de ses concitoyens qu’une haine commune pour les étrangers », tandis que la religion chrétienne « veut sans doute qu’on aime son Prince et sa patrie, mais les fondemens qu’elle donne a cet amour ne sont point les vains prestiges de l’imagination et du préjugé. La nature en est la source. La providence a répandu dans notre coeur une tendresse qui nous fait aimer tous les hommes. »
Pour Turgot, le christianisme exerce également une influence positive sur la légitimité des lois : « ce n’est pas seulement en facilitant les progrès de la législation […] que la religion chrétienne peut être utile aux sociétés, elle l’est encore plus parce qu’elle supplée à l’insuffisance des loix parce qu’elle leur donne une force qu’elles ne peuvent avoir dans elles-même ; les loix quelque force qui les appuie ne sont que des liens extérieurs pour les passions humaines, je crois voir une liqueur bouillante contenue dans un vase dont elle cherche à s’échapper de tous les cotés. La religion en agissant sur l’intérieur de l’homme, en le mettant sous les yeux d’un dieu qui voit tout, donne à ses vertus une solidité qui les soutient indépendamment des loix. »
Il s’inquiète du « nombre des impies [qui] augmente de jour en jour », alors même que la religion chrétienne a su triompher, « stable au milieu des plus terribles orages, devenue plus féconde par le sang des Martyrs, florissante parmi les buchers et les chevalets, triomphant enfin des préjugés du vulgaire, des sophismes des Philosophes, de la rage des persécuteurs et des passions des hommes, après s’être répandue comme un torrent qui surmonte et qui couvre les digues même qu’on lui oppose, dominante aujourd’huy sur les peuples entiers, embrassée, protégée par les Rois et placée en quelque sorte sur le throne avec eux ». Dans des notes non datées (manuscrit 6), Turgot s’extasie d’ailleurs devant la clairvoyance des Apôtres « qui ont réformé les idées du genre humain sur la divinité », et à qui le monde doit « les notions les plus pures de la morale et de la vertu et quelle morale ? quelle vertu ? d’une vertu dégagée de toutes les chimères inventées par le ridicule orgueil des Stoïciens, d’une vertu qui réside dans le coeur, d’une vertu aisée à pratiquer ; qui consiste dans l’observation de tous les devoirs, d’une vertu simple et sans faste d’une vertu douce et sans amertume, sans dureté, d’une vertu qui se fond toute entière dans la Charité… »
Le second discours en Sorbonne : Sur les progrès successifs de l’esprit humain (manuscrit 5)
Dès les premières lignes, Turgot établit que les causes du progrès humain « peuvent se réduire à 3 : l’état de la langue du Peuple où ils se sont faits ; la constitution du gouvern[ement], la paix, la guerre, les récompenses le génie des princes ; […] le hazard du génie Descartes Colomb Newton ». Il disserte sur l’évolution des langues, jusqu’à conclure : « Je crois que l’exemple de la langue grecque doit nous rassurer : depuis Homère jusqu’à la chute de Constantinople, c’est-à-dire pendant plus de deux mille ans elle n’a point changé sensiblement, on a toujours senti les beautés d’Homère et de Demosthenes. »
Revenant au thème de la décadence des sciences et des arts, il établit une distinction entre les arts mécaniques et les beaux-arts : « Les arts mécaniques subsistent donc, dans la chute des lettres et du gout, et s’ils subsistent ils se perfectionneront […] Il ne faut donc pas confondre les arts méchaniques avec le gout des arts, et avec les sciences spéculatives. Le gout peut se perdre par des causes, purement morales : un esprit de langueur, de molesse répandu dans une nation ; la pedanterie, le mépris des gens de lettres, la bizarrerie du gout des Princes, leur tyrannie peuvent le corrompre. » Turgot évoque la révolution de l'imprimerie : « L’invention de l’imprimerie a non seulement répandu la connaissance des livres anciens mais encore celle des arts modernes. Jusque là une infinité de pratiques admirables restées entre les mains des ouvriers n’excitoit point la curiosité des Philosophes, quand l’impression en eut facilité la communication on commença a les décrire pour l’utilité des ouvriers ; par là les gens de lettres connurent mille manoeuvres ingénieuses qu’ils ignoraient et ils se virent conduits a une infinité de singularités Physique, (…) ils commencèrent à mépriser les mots, et de la naquit le gout de la Physique expérimentale ou l’on n’aurait jamais pu faire de grands sans le secours des nouvelles inventions de la mécanique. »
L’existence de « génies » parmi les hommes le fascine ; il ne tarit pas d’éloge sur Newton, Leibniz ou Descartes, même s’il reproche à ce dernier un certain manque d’empirisme : « Descartes en secouant le joug de l’autorité des anciens ne s’est pas encore assés déffié de ses premières connaissances qu’il avoit reçues d’eux. On est étonné qu’un homme qui a osé douter de tout ce qu’il avoit connu, n’ait pas cherché a suivre les progrès de ses connoissances depuis les premières sensations. (…) Newton a tout à coup porté le flambeau de l’analyse jusque dans l’abime de l’infini. Leibnits genie vaste et conciliateur, voulut que ces ouvrages devinssent comme un centre ou se reuniraient toutes les connoissances humaines. » Enfin, Turgot se montre résolument optimiste sur l’avancée du progrès humain, selon lui inéluctable : « Il ne faut pas croire que dans ces tems de barbarie et d’obscurité qui succèdent quelques fois aux siècles les plus brillants l’esprit humain ne fasse aucun progrès. (…) Ce n’est point l’erreur qui s’oppose aux progrès de la vérité, ce ne sont point les guerres et les révolutions qui retardent les progrès du gouvernement, c’est la molesse (sic), l’entêtement, l’esprit de routine et tout ce qui porte à l’inaction. »
Bibliographie :
Oeuvres de Turgot et documents le concernant, biographie et notes de Gustave Schelle, Institut Coppet, 2018. A. Clément, "La politique sociale de Turgot : entre libéralisme et interventionnisme", L'Actualité économique, vol. 81, n° 4, 2005, pp. 725-745. F. Vergara, "Intervention et laisser-faire chez Turgot (Le rôle de l'État selon le droit naturel)", Cahiers d'économie Politique, vol. 54, n° 1, 2008, pp. 149-169. J. Hecht, Matériaux inédits de Turgot (II-1) aux Archives du Château de Lantheuil. Quatre brouillons du premier « Discours » prononcé à la Sorbonne en 1750, Population, 31ᵉ année, n°2, 1976. p. 509.
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Manuscrits préparatoires : Taches d’encre, quelques rousseurs et piqures, petites déchirures en marges de certains feuillets. Copies manuscrites : Rares rousseurs, reliure frottée et passée, accrocs et griffures avec atteinte au cuir sur les plats, mors frottés.
Preparatory manuscripts: ink stains, some foxing and spotting, small tears in the margins of some leaves. Handwritten copies: Scarce foxing, binding rubbed and faded, tears and scratches with damage to leather on boards, rubbed hinges.
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