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Au milieu de ma sotte vie, quand je lis une lettre de vous, je dois avoir un peu l’air d’un homme empoisonné par la fumée de l’asphalte ou du tabac, qui entrerait tout à coup dans un jardin et qui recevrait dans le nez un coup de vent plein de l’odeur des roses.

MUSSET, Alfred de (1810-1857). Lettre autographe signée « Alfd Mt » à Caroline Jaubert. Sans lieu ni date.

3 pages in-8 (200 x 130 mm) sur un feuillet replié, encre noire.
Petites déchirures marginales.

Spirituelle et pétillante lettre adressée à celle qui fut sa maîtresse avant de devenir sa « marraine » et l’une de ses plus éclatantes correspondantes.
Musset se réjouit de la revoir (« On va donc pouvoir un peu vivre ») et évoque à demi-mot et sur un ton badin ses amours malheureuses avec Rachel et Pauline Garcia (future Viardot) :
« Je ne vaux plus rien, je ne suis plus fou en amour.
Et vous ???
Et si on ne l’est plus, qu’est-ce que le reste ? déraisonner en conscience, voilà la grande affaire de la vie. Quand on n’ose plus déraisonner, il faut se brûler la cervelle, ou se marier. »

Il lui demande ensuite son avis sur trois vers qu’il vient d’écrire (et qui seront dans l’Idylle Rodolphe) :
« Lorsque ma bien-aimée entrouvre sa paupière,
Sombre comme la nuit, pur comme la lumière,
Sur l’émail de ses yeux brille un diamant noir »

« Question. Pourquoi le souvenir de Pa [Pauline Garcia] me revient-il sans cesse en présence de X ? Parlez donc du droit de présence.
Autre question. Si Pa en chantant le Saule avait l’idée de se retourner un peu de côté (je suis au balcon) et de rendre votre très montmorencique filleul amoureux fou, que signifierait le proverbe des deux lièvres ? Ceci est une question philosophique & providentielle. »

Witty autograph letter signed from Musset to one of main correspondents, Caroline Jaubert.
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Lot Essay

Mardi
Je vous avais écrit une lettre qui commençait ainsi : « Je n’ai absolument rien à vous dire de neuf, mais je vous écris parce qu’il ne peut pas être que vous m’ayez donné votre adresse et que je n’en ai pas profité ».
Lorsque jai appris par le canal de ma famille que vous deviez revenir dimanche, jai donc vu qu’il était trop tard car c’était au samedi. Cent et un remerciemens dabord pour votre bon envoi. Je ne trouverai jamais le moyen de vous dire le plaisir que j’ai à voir arriver une lettre de vous, à la décacheter, à la lire, avec la certitude d’y toujours trouver un mot de vraie amitié et une bonne nouvelle. Au milieu de ma sotte vie, quand je lis une lettre de vous, je dois avoir un peu lair d’un homme empoisonné par la fumée de l’asphalte ou du tabac, qui entrerait tout à coup dans un jardin et qui recevrait dans le nez un coup de vent plein de lodeur des roses.
Ainsi donc elle revient et vous aussi. On va donc pouvoir un peu vivre.
Je voudrais pouvoir répondre quelque chose à votre gentil mot sur les apparitions mais les petites tapes de votre très petite main sont si douces à recevoir que je vous avoue qu’elle ne corrigeront jamais guère personne. Quoiquil en soit, sachez que votre filleul travaille.
Qu’elle était jolie lautre soir courant dans son jardin avec mes pantoufles et un petit bonnet noir et rouge en laine tricotée ! Je lai pourtant senti et cest vrai. Je ne vaux plus rien, je ne suis plus fou en amour.
Et vous ???
Et si on ne lest plus, quest-ce que le reste ? déraisonner en conscience, voilà la grande affaire de la vie. Quand on n’ose plus déraisonner, il faut se brûler la cervelle, ou se marier.

Que pensez-vous des trois vers suivans :
« Lorsque ma bien-aimée entrouvre sa paupière,
Sombre comme la nuit, pur comme la lumière,
Sur l’émail de ses yeux brille un diamant noir »

(Je viens de laisser tomber ma plume et de faire un paté. Le mot endommagé est « comme »).

Je veux beaucoup savoir si vous aimez cela. Je l’ai écrit avec deux bonnes choses, un petit mot de vous & le souvenir de Pa. Je vous préviens quon l’a trouvé hardi mais – est-il bien sûr que ce soit un défaut que la hardiesse ?

Question. Pourquoi le souvenir de Pa me revient-il sans cesse en présence de X ? Parlez donc du droit de présence.
Autre question. Si Pa en chantant le saule avait lidée de se retourner un peu de côté (je suis au balcon) et de rendre votre très montmorencique filleul amoureux fou, que signifierait le proverbe des deux lièvres ? Ceci est une question philosophique & providentielle.
Troisième question. Ne pourrait-il pas se faire que je me trouvasse entre deux selles………… fi donc !
Dernière question. Pourquoi l’odeur du patchouli me rend-elle mélancolique et celle de liris joyeux ? Ceci est un rébus.

Je donne à votre pied gauche une poignée de main.
Alfd Mt

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