Au début du XIXème siècle l’industrie du verre à Venise, comme la Ville, était déclinante. Après un âge d’or aux XVIème et XVIIème siècles, le savoir faire et la quantité des maîtres verriers diminuaient. Vingt ateliers seulement subsistaient en 1846, dont seulement six fabriquaient encore de la verrerie de grand luxe. Il faut attendre le second quart du XIXème siècle pour constater un certain renouveau avec des verriers comme Domenico Bussolin, Lorenzo Radi ou encore Francesco Torcellan qui non seulement rétablirent des techniques oubliées mais en découvrirent également de nouvelles techniques. Venise enfin connaît une véritable Renaissance sous l’impulsion d’Antonio Salviati (1816-1890)
Né à Vicence, Salviati avait commencé sa carrière comme avocat à Venise. Emu par l’état déplorable des mosaïques de Saint-Marc, il fonde une manufacture de mosaïques sous le nom de Salviatti dott. Antonio en 1859. Il plaça l’atelier sous la direction de Lorenzo Radi qui pouvait alors être considéré comme le plus inventif de sa profession. Spécialisé dans la fabrication de tesselles de mosaïque depuis une vingtaine d’années, celui-ci su impulser à la production un très haut niveau de qualité. Dès 1861, une commission d’architectes fut tellement impressionnée qu’elle recommanda la manufacture auprès des autorités en charge de l’entretien de Saint-Marc. Entre 1862 et 1865, Salviati fournit de nombreux éléments pour l’édifice du South Kensington Museum (aujourd’hui au Victoria and Albert Museum).
Devenue une entreprise de grande renommée, la firme présenta un exceptionnel guéridon en mosaïque de verre à l’Exposition universelle de Londres en 1862 (Liefkes, « Antonio Salviati and the nineteenth-century renaissance of Venitian glass » in Burlington Magazine, mai 1994, p. 285, fig. 18). Antonio et Domenico Giobbe utilisèrent pour réaliser le plateau une technique mise au point par Radi consistant à placer de la calcédoine et de la feuille d’or entre deux plaques de verre. Le pied fut sculpté par Antonio Toso et peint et doré par Pietro Magri. Son prix exorbitant de 1000 £ était justifié par la complexité de la mise en œuvre du travail de la mosaïque, et la grande somptuosité de ce meuble lui valut d’être publié dans le Masterpieces of Industrial Art and Sculpture at the International Exhibition, 1862 (Waring, 1863). Un portrait du prince Albert, aujourd’hui conservé au Victoria and Albert Museum et datant de 1864 reprend ce principe de couches multiples mais dans le cadre de la micromosaïque (Liefkes, op.cit.1994, p.285, fig.19). A cette époque peu de pièces en verre soufflé semblent avoir été produites, la spécialité de la manufacture demeurant la mosaïque de verre.
Le guéridon étudié s’apparente de très près à celui présenté à l’exposition universelle de Londres par son esthétique. Mais le principe d’un matériau précieux enserré entre deux plaques de verre est ici remplacé par de la pâte de verre colorée dans la masse. Pour les parties imitant l’aventurine de la poudre d’or a été ajoutée à chaud pour rendre l’effet de scintillement. Le même savoir-faire des frères Giobbe se retrouve dans la découpe délicate des tesselles aux formes extrêmement complexes.
La particularité de notre guéridon par rapport à celui de l’Exposition Universelle de 1862 est d’enserrer la mosaïque de verre proprement dite dans une plaque de marbre noir à la manière des scagliola italiennes du XVIIème siècle. En lieu et place des pâtes colorées, ce sont les tesselles de mosaïque, d’environ 3mm d’épaisseur qui prennent place dans le décaissement du dessus prévu à cet effet. Le centre du plateau rappelle le haut degré de technicité atteint par la manufacture dans l’art des micromosaïques.
Post Lot Text
AN ITALIAN ENAMELLED-GLASS AND EBONISED GUERIDON, BY GIOBBE BROTHERS FOR ANTONIO SALVIATI, MURANO, CIRCA 1860-1865